West Side Story : Spielberg vous invite à entrer dans la danse
Dansez, Chantez, Aimez.
Du haut de sa trentaine de films réalisés, entre grands spectacles et œuvres intimistes et à travers tous les genres, Steven Spielberg signe cette année sa première comédie musicale. Le cinéaste marque en effet son retour après le très acclamé Ready Player One, avec sa version du grand musical de Broadway -qui a déjà connu une première adaptation en 1961-, West Side Story.
Nous sommes dans les années cinquante, dans un Upper West Side de New York où Sharks et Jets, deux gangs rivaux se disputent le contrôle du territoire. De ce climat turbulent fleurit pourtant un amour indicible entre Tony et Maria, incarnés respectivement par un Ansel Elgort et une Rachel Zegler qui crèvent l’affiche.
Nous pourrions penser au premier abord, qu’il s’agit là d’une histoire vue et revue, qui peut être perçue comme ringarde ou kitsch, mais ces éléments sont transcendés par la maestria d’un réalisateur qui aime profondément la source qu’il souhaite adapter. Avec tout l’amour et le profond respect que tient le réalisateur pour l’œuvre d’origine, il nous livre un film dont l’esthétique résonne avec le fond de l’histoire, qui est malheureusement d’autant, voire plus d’actualité aujourd’hui que lors de la sortie du musical en 1957.
En effet, sa première adaptation a autant marqué les esprits car il amenait à l’époque des comédies musicales de l’âge d’or d’Hollywood un éminent propos politique. Ici, le moteur du conflit est lié à l’arrivée progressive d’une vague d’immigrants portoricains (dont l’intérêt est défendu par les Sharks), très mal vécu par une frange de jeunes habitants pourtant eux-mêmes issus d’immigrants européens (vous l’aurez compris, les Jets). En toute nuance, nous est dépeint le portrait de cette fracture sociétale, du rejet de l’autre appuyé par la gentrification du quartier des Jets, que du repli sur soi induit par un cycle de haine perpétué. Il arrive notamment à ces fins par la scénographie des chansons (Celle des Jets pour ceux-là ou la très belle « America » pour les autres).
La réflexion du cinéaste le pousse également au recrutement d’acteurs et actrices d’origine latino-américaines, majoritairement absents et absentes de la précédente adaptation pour incarner au mieux les Sharks, permettant ainsi la mise en avant d’artistes dont la méconnaissance cache pour la plupart une très bonne performance, notamment concernant Rachel Zegler dont il s’agit du premier long-métrage. Son regard neuf sur l’œuvre met également en exergue aussi bien les problématiques féministes déjà présentes à l’époque (particulièrement avec le personnage d’Anita), que d’autres plus actuelles, à travers la réinterprétation du personnage de Anybodys et la question du genre.
Sur la toile de fond au tissage déjà bien épais s’ajoute la tragédie Shakespearienne, avec Tony et Maria en Roméo et Juliette des temps (pas si) modernes. Ces derniers montrent une certaine intensité qui rend très rapidement tangible leur relation. La crédibilité de leur amour est consolidée par une mise en scène qui touche au sublime. Il est difficile de ne pas y croire après la scène du balcon (teasée par l’affiche), tant le soin visuel s’imbrique avec la musique et la performance des deux vedettes.
Qu'il fait bon de voir tant d’envies de cinéma sur un film à gros budget tant la mise en scène arrive à transcender le scénario et les chansons (toutes brillamment interprétées). Le film s’ouvre sur une vision à la fois planante et plongeante du quartier, révélant dès les premières images le travail immense fait sur la photographie. A travers l’enchaînement de décors, nous sentons la caméra virevolter au rythme des cuivres et percussions vintage de la bande son. Des choix de perspectives et un travail fou sur la lumière transforment les plans en une scène de Broadway, où la caméra devient elle-même les yeux du public. La virtuosité se trouve également dans un montage qui sait donner du temps aux plans, le temps d’impliquer le spectateur, le temps de générer l’engouement et l’émotion des spectateurs, tant pour la relation naissante que l’angoisse de ce qui n’est après tout qu’une bataille de gang. Mesdames et Messieurs, Steven Spielberg.
Nous aimerions avant de conclure, souligner encore une fois l’hommage posthume à Stephen Sondheim, cocréateur du musical d’origine et parolier qui a su donner une âme à l’œuvre.
En définitive, le cinéaste nous livre ici une formidable réinterprétation de la comédie musicale culte qu’il dédie à son défunt père. Après cette œuvre dont les chansons ont bercé son enfance et son précédent film qui est un hommage à l’imaginaire qui l’a forgé, Steven Spielberg s’attaquera prochainement à un film au moins en partie autobiographique. À cet égard, il ne serait pas surprenant de considérer que l’auteur nous laisse avec West Side Story, un second chapitre de son testament. Et quel testament, pour quelle vie.
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